Dommages causés au voisinage par des travaux de construction : responsabilité du maître d’œuvre  

Aux termes de l’article 3 du Code de la construction et de l’habitat : « un maître d’œuvre est la personne physique ou morale désignée par ce terme dans les documents contractuels et chargée par le maître d’ouvrage de diriger l’exécution des travaux. Il veille à la bonne exécution des ouvrages immobiliers. Il a la responsabilité de la livraison des travaux ou ouvrages immobiliers »

Le maître d’œuvre qui ne prend pas les mesures qui s’imposent, pour éviter que les travaux de construction ne causent une gêne au voisinage, engage sa responsabilité.

1- Les deux affaires

L’effondrement du mur mitoyen

En juin 2020, la construction d’un immeuble de type R+4 menaçait la stabilité d’un mur mitoyen. Le voisin craignant un effondrement, a avisé le maître d’œuvre qui n’a pas pris les mesures qui s’imposaient. En octobre 2020, le mur s’est effondré sous la pression des travaux de construction, causant d’importants préjudices. Le voisin a saisi la juridiction présidentielle du tribunal de commerce d’Abidjan, qui a désigné un expert avec pour mission de déterminer l’origine des dégâts et d’évaluer les préjudices subis. Le 06 décembre 2021, le tribunal de commerce homologue le rapport d’expertise, et dit que l’effondrement et les dégâts qui s’en sont suivis, sont dus aux travaux de construction du maître d’œuvre.

Le tribunal condamne la société à payer au voisin, les sommes suivantes : 4 225 310 Fcfa au titre du préjudice matériel, 45 696 447 FCFA au titre du préjudice économique et financier et 5 000 000 FCFA au titre du préjudice moral (tribunal de commerce d’Abidjan, 06 décembre 2021, RG n°2724/2021).

La chute des gravats

Le 6 mai 2022, une grande quantité de gravats est tombée sur le toit d’un atelier, causant d’importants dégâts matériels dans ledit atelier. Le voisin a fait constater les dégâts par un huissier et a saisi la juridiction présidentielle du tribunal de commerce d’Abidjan, afin qu’un expert soit désigné pour déterminer l’origine des dégâts et évaluer le préjudice. Le tribunal précise dans sa motivation, qu’il est établi que c’est à l’occasion des travaux réalisés par le maître d’œuvre, que les gravats se sont déversés sur la toiture, entraînant l’effondrement.

Le maître d’œuvre a donc commis une faute et est condamné à payer au voisin, la somme de 20 405 841 FCFA à titre de dommages et intérêts (tribunal de commerce d’Abidjan, 01er février 2024, RG n°1772/2023). Le jugement a été confirmé en appel (cour d’appel de commerce, 4ème chambre, 11 décembre 2024, n°460/2024).

2- Le fondement de la responsabilité du maître d’œuvre

Dans ces trois décisions, le juge fonde la responsabilité du maître d’œuvre sur l’article 1382 du Code civil : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». La responsabilité délictuelle est parfaitement justifiée, en l’absence d’un lien contractuel entre le voisin victime, et l’auteur du dommage à savoir le maître d’œuvre.

Dans le jugement du 01 février 2024, l’article 1384 posant le principe de la responsabilité du fait d’autrui, est cité : « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». Si le juge ne s’étale pas plus dans sa motivation, sur la raison de l’invocation de ce texte, on peut supposer qu’il entendait appuyer une responsabilité du maître d’œuvre, même pour les faits commis par les ouvriers, qu’ils emploient pour les travaux.

Devant le tribunal et la cour d’appel, l’avocat du voisin citait en appui de ses conclusions, l’article 219 du Code de la construction et de l’habitat : « sur le chantier de construction, les dispositions appropriées doivent être prises pour assurer la sécurité des travailleurs et celle des personnes étrangères présentes à l’intérieur et aux abords du périmètre des travaux ». Cet article qui n’est pas repris dans la motivation des juges, prévoit l’obligation qui pèse sur un maître d’œuvre. Le législateur a envisagé les dommages causés dans le cadre de travaux de construction puisqu’il exige que tout constructeur au sens de l’article 228 du même Code, souscrive à un contrat d’assurance couvrant « tous les risques inhérents aux activités de construction » conformément à l’article 236 du Code précité.

L’expertise au travers des constations faites et des conclusions tirées, a permis au juge de déterminer la faute du maître d’œuvre. En la matière, l’expertise revêt une importance capitale.

2- Les préjudices retenus

Les préjudices retenus, sont évalués par les experts et fixés par le juge.

La cour d’appel de commerce confirmant le jugement du 1er février 2024, caractérise le préjudice constitué de la privation de jouissance du hangar qui « est la conséquence directe de la faute de l’appelante, à savoir le dépôt des gravats sur la toiture du hangar qui a engendré l’effondrement dudit hangar » (cour d’appel de commerce, 4ème chambre, 11 décembre 2024, n°460/2024).

Le tribunal a retenu un préjudice économique et financier (PEF), évalué par l’expert en appliquant la méthode suivante : perte de revenus (PR) enregistrée sur la période d’inactivité – les charges directes (CD) qui auraient dues être supportées, s’il n’y avait pas eu d’arrêt de production. Soit PEF : PR – CD (Tribunal de commerce d’Abidjan, 01er février 2024, RG n°1772/2023).

Le préjudice moral assez connu, ne nécessite pas une présentation plus importante. On pourrait envisager dans certains cas, un préjudice esthétique pour le voisinage du fait des gravats qui chutent dans leur habitation.

3- Le coût de la procédure

Les dépens qui sont les frais directement liés à la procédure, sont mis à la charge du maître d’œuvre dans les deux affaires.

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