Le bail à usage d’habitation consiste à mettre en location un immeuble ou un local servant d’habitation. Bailleur et locataire peuvent résilier le bail. Toutefois, seul le bailleur dispose de la faculté d’expulser le locataire. Quels sont les droits du locataire et ceux du bailleur en matière de résiliation du bail et d’expulsion ? Les règles applicables au bail à usage d’habitation sont intégrées dans le Code civil, sous réserve des règles spéciales prévues par le Code de la construction et de l’habitat.
I- La résiliation
Elle peut intervenir sans qu’il soit fait recours à une procédure judiciaire, cette procédure intervenant principalement en cas de litige. Un contrat de bail à usage d’habitation peut légitimement être résilié avant son terme ou lorsqu’il est à durée indéterminée :
- « En cas de force majeure ;
- Par accord commun des parties ;
- En cas de manquement à ses obligations par l’une des parties ; (…)
- Au terme d’un congé de trois (3) mois notifié par écrit au locataire par le bailleur qui veut exercer son droit de reprendre l’immeuble ou le local pour l’occuper lui‐même ou pour le faire occuper de manière effective par un ascendant ou descendant ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement » (article 442 du Code de la construction et de l’habitat)
A- Le formalisme
Aux termes de l’article 443 du Code de la construction et de l’habitat : « la lettre de demande de résiliation du contrat de bail doit être écrite, motivée et accompagnée, le cas échéant, de pièces justificatives. Elle est transmise à la partie adverse par voie de commissaire de justice ou par voie de lettre recommandée avec avis de réception ou encore par remise de courrier contre décharge ou par courrier électronique, si les parties ont accepté ce mode de transmission ».
Le respect du mode de transmission de la lettre est important, le juge vérifie sa preuve dans le cadre d’une procédure d’expulsion : «…il résulte de ces dispositions que la preuve de la transmission effective de la lettre de demande de résiliation au locataire doit être rapportée ; Attendu qu’en l’espèce, il ressort des productions au dossier que les lettres de demande de résiliation ont été délaissées à Mairie, en violation des textes susvisés et des règles relatives à la remise des actes de commissaires de justice ; qu’il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas satisfait à l’exigence de la transmission préalable des lettres de demande de résiliation aux défendeurs » (Section de tribunal de Divo, 22 juillet 2021, n°141/2021).
La contestation de la résiliation par le locataire : le Code de la construction et de l’habitat prévoit en son article 444 pour le locataire, un délai de trente (30) jours à compter de la réception de la lettre de demande résiliation pour saisir la juridiction compétente en vue de contester la résiliation. Le bailleur ne peut intenter une action devant le juge avant l’expiration de ce délai. Est alors déclarée irrecevable, l’action en résiliation du bail et expulsion intentée en méconnaissance de cette disposition : «…l’examen des pièces du dossier laisse apparaître que si la demanderesse a observé la formalité substantielle de servir une lettre de résiliation de bail au défendeur, elle n’a par contre pas attendu l’expiration du délai dont dispose le défendeur pour une éventuelle opposition avant d’initier la présente action, car alors que la lettre a été remise au défendeur le 24 août 2023 par voie de commissaire de justice, la présente action a été introduite le 19 septembre 2023, soit 26 jours seulement après la remise de la lettre ; Il convient de déclarer son action en résiliation du bail et expulsion irrecevable » (TPI de Korhogo, 21 décembre 2023, n°66).
La non-contestation de la résiliation dans le délai de 30 jours vaut acceptation de la résiliation, qui prendra effet à la date de fin du congé fixé : «…ce dernier n’ayant pas contesté cette lettre devant la juridiction compétente et dans le délai légal de 30 jours calendaires qui lui était imparti, la résiliation du contrat de bail le liant à T.M est alors acquise…» (TPI de Korhogo, 1ère Chambre civile, 13 juillet 2023, n°37)
L’exception à la règle de l’article 444 est prévue à l’article 445 du Code de la construction et de l’habitat : « Lorsque le locataire manque à ses obligations contractuelles, le bailleur peut demander son expulsion forcée devant le juge des référés, après la transmission de la lettre de demande de résiliation, sans respecter le délai de contestation de la résiliation du bail prévu ci‐dessus. ». Le juge vérifie lors d’une instance que le locataire manque en l’espèce à ses obligations et qu’une lettre de demande résiliation a bien été remise. C’est alors qu’il ordonne la résiliation en application de l’exception prévue à l’article 445 du Code (Section de tribunal de Dimbokro, 30 juin 2022, ordonnance de référé n°14).
Pour la résiliation en cas de force majeure ou par accord commun des parties, on peut considérer que le congé de trois (03) mois constitue un délai raisonnable, qui pourrait être retenu par le juge. Dans le cadre d’une convention d’occupation à titre gratuit, le tribunal de première instance de San Pedro a validé le congé de trois (3) mois accordé par le bailleur : « Il sied donc de faire droit à ladite demande et valider le congé de trois (03) mois donné le 04 février 2021 par le demandeur aux défendeurs, pour libérer le local litigieux » (TPI de San-Pedro, 22 juin 2021, n°108/2021 ; TPI d’Abidjan-Plateau, 26 novembre 2015, n°725)
B- Les deux motifs de résiliation les plus sollicités
1- Le manquement aux obligations contractuelles
L’article 435 du Code de la construction et de l’habitat dispose que : « le locataire est tenu d’utiliser l’immeuble en bon père de famille, conformément aux stipulations contractuelles du contrat de bail et de payer le loyer ».
Le non-respect de cette obligation justifie la résiliation du contrat de bail. Il appartient au locataire qui estime avoir payé le loyer, de rapporter la preuve du paiement (Cour d’appel d’Abidjan, 2ème Chambre civile, 22 mars 2019, n°241 ; TPI de Gagnoa, 27 octobre 2021, n°294/CIV 1 ; Section de tribunal de Bongouanou, 14 décembre 2022, n°124 ; TPI d’Abidjan, 13 décembre 2023, n°907). Ce paiement doit être intervenu avant la procédure. Il est sans objet lorsqu’il intervient après l’assignation (TPI de Korhogo, 13 juillet 2023, n°37), ou encore après l’ordonnance de référé expulsion : « considérant qu’il en résulte que l’ordonnance entreprise, rendue conformément à la loi, ne peut être infirmée, au seul motif qu’ultérieurement l’ordonnance prononçant son expulsion des lieux loués, le locataire a acquitté les loyers échus et impayés en considération desquels son expulsion a été ordonnée » (Cour d’appel d’Abidjan, 6ème Chambre civile, 05 février 2019, n°146).
La demande en résiliation fondée sur un manquement aux obligations contractuelles alors qu’il est prouvé que le locataire s’acquitte des loyers, ne saurait prospérer (TPI de Bouaflé, 18 février 2021, n°76 ; Cour d’appel d’Abidjan, 21 mars 2019, n°573).
- Les arriérés de loyers
Le non-paiement des loyers constitue un manquement contractuel justifiant une procédure en résiliation du bail :« Attendu que les défendeurs sont débiteurs de plusieurs mois de loyers échus et impayés ; Qu’ils ne justifient pas cet état de fait ; qu’il faut en déduire qu’ils ne sont plus en mesure d’honorer leur principal engagement locatif consistant au paiement mensuel des loyers échus ; qu’il convient donc de résilier les contrats de bail les liant au demandeur pour non-paiement de loyers » (TPI de Yopougon, 18 juin 2013, n°407/13).
- Le retard de loyer
Le loyer doit être payé à une date indiquée dans le contrat de bail, le non-respect de cette date peut justifier la résiliation du bail : « mais attendu que pour statuer comme elle l’a fait, la Cour d’Appel a relevé que selon l’article 8 de la loi susvisée, le loyer est payable d’avance au plus tard le 05 de chaque mois et qu’il résulte des quittances versées au dossier que le locataire s’acquitte du loyer avec retard et qu’il est redevable d’arriérés de loyers ; qu’en se déterminant ainsi, ladite Cour n’a pas violé le texte visé au moyen et a légalement justifié sa décision » (Cour de cassation, Chambre civile, 22 juin 2023, n°590/23).
2- La résiliation du fait de la volonté du bailleur
L’article 442 du Code de la construction et de l’habitat dispose : « le contrat de bail à usage d’habitation peut être légitimement résilié avant son terme ou lorsqu’il est à durée indéterminée…Au terme d’un congé de trois (3) mois notifié par écrit au locataire par le bailleur qui veut exercer son droit de reprendre l’immeuble ou le local pour l’occuper lui‐même ou pour le faire occuper de manière effective par un ascendant ou descendant ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement »
On retrouve ces motifs dans la jurisprudence : la reprise des lieux loués par le bailleur pour son usage personnel (Section de tribunal de Divo, 15 avril 2021, n°67/202), l’exercice général du droit de reprendre l’immeuble loué (TPI d’Abidjan, 16 février 2023, n°189) ; la reprise du domicile pour y loger son fils (Cour d’appel d’Abidjan, 10 mai 2019, n°542).
II- L’expulsion
A- Le formalisme
La demande d’expulsion est rejetée lorsque le contrat de bail dont la résiliation est sollicitée n’est pas produit en procédure par le bailleur (TPI d’Abidjan-Plateau, 26 novembre 2016, n°726).
La section de tribunal d’Issia déclare irrecevable l’action en expulsion d’un locataire dont le bail est verbal : « attendu qu’il ressort des dispositions de l’article 8 de la loi susvisée sur le bail à usage d’habitation que celui-ci est écrit et qu’en l’espèce, il est constant comme résultant des déclarations des parties, que le bail qui les lie depuis courant février 2019 a été conclu verbalement ; Qu’il suit de ce qui précède, que ledit contrat viole les dispositions légales susvisées d’où il suit de déclarer l’action de AKESSE Kouassi irrecevable » (Section de tribunal d’Issia, 19 mai 2021, n°54). Cette décision est contestable puisqu’il est constant que lorsque la relation contractuelle entre le bailleur et le locataire n’est pas le bail à usage d’habitation, le juge peut la requalifier et ordonner tout de même l’expulsion si elle est justifiée (TPI de San-Pedro, 27 juillet 2021, n°129/2021).
1- La procédure en urgence : le référé-expulsion
L’article 445 du Code de la construction et de l’habitat dispose : « lorsque le locataire manque à ses obligations contractuelles, le bailleur peut demander son expulsion forcée devant le juge des référés, après la transmission de la lettre de demande de résiliation, sans respecter le délai de contestation de la résiliation du bail prévu ci‐dessus.
En cas d’expulsion forcée du locataire, celui‐ci reste tenu du paiement des loyers échus du fait de son occupation de l’immeuble ou du local à usage d’habitation »
Le délai pour ce type de procédure est relativement court, il est au maximum de six (6) mois. A titre d’exemple dans une affaire, l’assignation a été délivrée le 25 novembre 2020 et la décision rendue le 12 janvier 2021 (TPI de Yopougon, 12 janvier 2021, ordonnance de référé n°009). Les décisions sont exécutoires par provision, nul besoin de solliciter l’exécution provisoire (Section de tribunal de Dimbokro, 27 juillet 2023, ordonnance de référé n°16).
Le locataire condamné à être expulsé peut lui aussi saisir le juge des référés pour demander un délai de grâce et la suspension de la procédure d’expulsion (article 446 du Code de la construction et de l’habitat). Seul un motif légitime doit justifier l’accord de la demande de grâce. Cette décision suspend alors toute mesure d’expulsion, à compter de son prononcé jusqu’au terme du délai de grâce fixé, qui ne peut excéder trois mois. L’expulsion reprenant son cours à l’expiration du délai. L’ordonnance du juge des référés accordant un délai de grâce n’est pas susceptible de recours.
2- La procédure au fond
Cette procédure est plus longue, à titre d’exemple elle peut prendre huit (8) mois (TPI d’Abidjan, 13 décembre 2023, n°907). C’est une procédure qui est plus adaptée lorsqu’il convient notamment de statuer sur des éléments de fond telle que la nature de la relation contractuelle. Le juge de référés du tribunal de première instance de Korhogo s’est déclaré incompétent dans une affaire où il était nécessaire de trancher avant d’ordonner l’expulsion, sur l’existence ou non d’un contrat de bail à usage d’habitation (TPI de Korhogo, 3ème chambre civile, 30 octobre 2023, ordonnance de référé n°20). Le juge de droit commun étant en principe compétent.
Dans ce type de procédure, il faut solliciter dans les actes de procédure, l’exécution provisoire de la décision à rendre. Elle est accordée pour des cas présentant un caractère d’extrême urgence : « attendu qu’il y’a une extrême urgence liée au caractère alimentaire de la créance ; qu’il convient d’ordonner l’exécution provisoire » (TPI d’Abidjan, 1ère Chambre civile, 27 avril 2023, n°29) ; « attendu que le maintien des défendeurs dans les locaux cause un préjudice au demandeur qui est injustement privé de la jouissance de sa propriété ; que ce préjudice qui perdure depuis plusieurs mois s’aggrave chaque jour encore plus, surtout avec l’occupation désormais injustifiée des locaux par le défendeur ; qu’il y a donc extrême urgence à exécuter la présente décision pour y mettre fin… » (TPI de Yopougon, 18 juin 2013, n°400/13) ; « En l’espèce, il y a extrême urgence à permettre à monsieur Z.G de procéder à la rénovation de sa villa qui tombe en ruine » (TPI de Gagnoa, 26 janvier 2022, n°20/CIV1).
Le locataire peut adresser une requête aux fins de sursis d’exécution pour voir ordonner la discontinuation des poursuites lorsqu’un appel ou un pourvoi en cassation est formé contre la décision ordonnant l’expulsion.
B- L’après expulsion
1- Le paiement des loyers après expulsion
L’article 445 du Code précise qu’en cas d’expulsion forcée du locataire, celui-ci reste tenu du paiement des loyers échus du fait de son occupation de l’immeuble ou du local à usage d’habitation.
Le locataire expulsé reste tenu de payer des loyers antérieurs à l’expulsion et dus, du fait de son occupation : « … il est acquis que la défenderesse était locataire d’un immeuble appartenant au demandeur. Cependant, il n’est pas rapporté par la défenderesse qu’elle s’est acquittée des loyers échus du fait de son occupation dudit immeuble, sur la période réclamée par le demandeur ; Il convient donc de dire que le défendeur reste tenu du paiement desdits loyers… » (TPI d’Abidjan, 20 décembre 2023, n°925 ; TPI d’Abidjan, 20 décembre 2023, n°926).
2- Les travaux de remise en état
Le locataire est tenu de restituer l’immeuble ou le local loué dans l’état dans lequel il se trouvait, au moment de la conclusion du bail. La résiliation et/ou l’expulsion ne met pas fin à cette obligation prévue par l’article 438 du Code : « à l’expiration du bail, le locataire est tenu de restituer l’immeuble ou le local loué dans l’état dans lequel il se trouvait au moment de la conclusion du contrat de bail.
En cas de transformation de l’immeuble loué, le locataire est libéré de cette obligation, lorsque le bailleur accepte de conserver les transformations effectuées. »
Le bailleur doit tout de même prouver qu’il y a eu dégradation et que la dégradation est imputable au locataire : « en l’espèce, le demandeur ne justifie pas de l’état dans lequel l’immeuble a été mis à la disposition de la locataire, encore moins celui dans lequel celle- ci l’a laissé à la fin du bail, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier la réalité des travaux devenus nécessaires du fait de la défenderesse, tel que l’allègue le demandeur. Aussi, un devis estimatif des travaux ne peut-il suffire, à lui seul, à établir que des dégâts ont été causés au local durant l’occupation de la locataire et imputable à celle-ci ; Il convient donc, dans ces conditions, de dire et juger que le demandeur est mal fondé en sa demande et de l’en débouter » (TPI d’Abidjan, 20 décembre 2023, n°925).
Les factures de réparation effectuées ou les devis doivent être lisibles et établis au nom du propriétaire (TPI d’Abidjan, 13 décembre 2023, n°907).
3- Les impayés de factures
Le locataire peut être condamné à payer les impayés des factures d’électricité ou factures d’eau (TPI d’Abidjan, 13 décembre 2023, n°907).
Sur ce point, il faut rappeler que le Conseil de régulation de l’ANARE précise que sur le fondement du principe de l’effet relatif des conventions, consacré à l’article 1165 du Code civil, un nouveau locataire, titulaire d’un nouveau contrat d’abonnement, ne peut se voir exiger le paiement des impayés du précédent locataire (Décision n°2023 /103 du 02 août 2023). De même, on peut penser que la CIE ne peut imposer au bailleur de régler la facture des impayés.
4- Les dommages-intérêts pour l’ancien locataire si les lieux ne sont pas occupés
L’article 452 du Code de la construction et de l’habitat dispose : « Sauf cas de force majeure, l’ancien locataire a droit à des dommages‐intérêts si, dans les trois mois qui suivent son départ, les lieux ne sont pas occupés aux fins invoquées comme motif de la résiliation du bail soit dans la lettre de résiliation du bail, soit dans la requête introductive d’instance, soit dans le jugement.
Le délai de trois mois est suspendu pendant la durée des travaux de rénovation et de transformation entrepris de manière effective par le bailleur sur l’immeuble ou le local loué.
Si la juridiction compétente constate que le motif invoqué pour empêcher la prorogation légale du bail était dolosif, le locataire a droit à des dommages‐intérêts qui ne peuvent être inférieurs au montant des loyers d’une année. »