Restrictive de liberté pour la population des fumeurs, la loi anti-tabac, notamment sa disposition interdisant de fumer dans les lieux publics, rencontre toutefois un écho favorable chez des adeptes qui y entrevoient non seulement une bouée pour eux-mêmes se sortir de cette addiction aux dangereuses conséquences sur la santé physique, mais aussi et surtout un moyen de préserver les jeunes générations.
Le décret N° 2012-980 du 10 octobre 2012 interdit de fumer dans les lieux publics et les transports en commun en Côte d’Ivoire. Cette interdiction est assortie d’amendes allant de 15 000 FCFA à 100 000 FCFA pour les fumeurs et de 150 000 FCFA à 250 000 FCFA pour les responsables des lieux publics.
Ce décret est renforcé depuis 2019 par la loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019 portant sur le produit et ses dérivés, dite « Loi anti-tabac, dont le champ couvre la culture, la fabrication, le conditionnement, l’étiquetage, la commercialisation, l’importation la publicité, la consommation du tabac et des produits dérivés.
Dans ses dispositions, la loi interdit toute culture industrielle du tabac en Côte d’Ivoire. Il est aussi interdit de vendre ou d’offrir du tabac ou des produits du tabac à toute personne âgée de moins de 18 ans et de faire vendre ou de faire offrir par des mineurs de moins de 18 ans du tabac ou des produits du tabac.
La vente à l’unité du tabac ou des produits du tabac est également interdite, tout comme la vente des produits du tabac doit désormais s’effectuer au minimum par paquet de 20 cigarettes.
Outre les lieux publics clos ou ouverts au public, il n’est pas autorisé à toute personne d’exposer autrui à la fumée du tabac et des produits du tabac dans les lieux à usage collectif ou de travail, ainsi que dans les moyens de transport public.
Pour les sanctions, quiconque vend ou fait vendre en gros ou au détail du tabac ou des produits du tabac à un mineur encourt une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et une amende de 10 millions à 100 millions de francs CFA, relève-t-on.
Mécanicien à Blockhaus, dans la commune de Cocody, Salif Diomandé, la trentaine, juge ces mesures salutaires, lui qui dit flirter avec la tige depuis une dizaine d’années. Pour fumer, Salif préfère s’isoler désormais.
« Les non-fumeurs ne seront plus enfumés. Et cette loi permet aux fumeurs de mesurer l’ampleur du danger du tabac. Personnellement, je veux saisir cette occasion pour arrêter de fumer », promet-il tout en grillant une.
La loi anti-tabac et ses restrictions, une opportunité pour se débarrasser d’un dangereux compagnon, c’est ce que perçoit Célestin Tia Diomandé, enseignant dans un lycée dans la commune de Yopougon.
« Nous savons que la cigarette est nuisible, mais il n’y avait aucune mesure pour nous dissuader. Maintenant qu’il y a cette loi qui interdit de fumer n’importe comment et n’importe où, beaucoup comme moi préféreront abandonner purement et simplement », pense-t-il.
A la faveur de la loi, Fulgence Konan, chauffeur de taxi, souhaite l’application effective de l’interdiction de la vente au détail qui rend la cigarette accessible.
Les populations accueillent favorablement cette loi
« La meilleure manière de protéger nos jeunes, c’est d’augmenter le prix, de sorte que ça ne soit pas accessible à tous, surtout aux petits », propose le sexagénaire qui dit côtoyer la cigarette depuis plus de 20 ans.
A Yopougon, des gestionnaires d’espaces de divertissement, à l’instar de Yann Manadja, rencontré au quartier Niangon-Maroc, se réjouissent du vote de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics, surtout que les clients respectent les consignes fixées dans ce sens.
Dans des endroits de grande fréquentation de la commune de Yopougon, notamment « la rue princesse », « l’espace OBV », des affiches sont bien visibles. Une tige de cigarette dans un cercle au contour rouge, avec une large barre diagonale de la même couleur attire l’attention de tout visiteur.
La mesure est bien respectée, aucun fumeur à l’horizon, fait savoir.
Président de la fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d’Ivoire, Marius Comoé, juge la loi anti-tabac « salutaire ». « Nous ne manquons pas de relever que la cigarette constitue un moyen d’égarement de notre jeunesse ainsi qu’un problème de santé publique. D’où l’importance de la prise d’une telle décision », fait-il remarquer.
Mme Coulibaly Lucie, commerçante au marché Gouro d’Adjamé, estime également que c’est « une très bonne décision ». « Si cela ne tenait qu’à moi, il serait bon d’interdire même la cigarette », affirme-t-elle.
« Je suis d’accord avec cette décision qui, pour nous, arrive à point nommé. Parce que des clients de mon restaurant se plaignent de ceux qui fument dans cet espace public. Cette interdiction nous met à l’aise pour interpeller ces clients qui fument et qui gênent les autres », soutient dame Koffi Adjoua, tenancière d’un restaurant dans les encablures de l’allocodrome de Cocody.
Selon l’ONG « Le Rêve ivoirien sans tabac » (Rist) , un maquis sur cinq et deux bars sur cinq respectent la mesure d’interdiction de fumer dans les lieux publics, effective depuis le 13 juin 2014.
La Côte d’Ivoire enregistre 5 000 décès annuels dûs à la consommation du tabac et de ses produits dérivés. La prise en charge des patients tabagiques coûte à l’Etat près de 28 milliards de FCFA par an.
« On pense que les cancers liés au tabac sont ceux du poumon ou de la gorge. Malheureusement, le tabac est un facteur favorisant les cancers de la vessie, du pancréas, du sein, du col de l’utérus. Le nombre de cancers associés au tabac ne fait que progresser et ça reste un véritable fléau », déplore la directrice du centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara de Cocody, le Pr Judith Didi-Kouko Coulibaly.
Le directeur de l’Institut de cardiologie d’Abidjan, le Pr Euloge Kramoh Kouadio, ne dit pas autre chose. « Le tabagisme chronique expose à l’hypertension artérielle, entraîne des maladies plus sournoises telle la myocardiopathie systémique. Les ordonnances peuvent monter jusqu’à 150 000 FCFA par mois. Tout cela parce qu’on a acheté sa maladie, puisqu’on a acheté la cigarette », prévient le spécialiste de la santé.
(AIP)