Abidjan lance un mécanisme inédit en Afrique, qui lie le coût de sa dette souveraine à l’atteinte d’objectifs environnementaux. Avec l’appui de la Banque mondiale, le pays cherche à concilier transition climatique et maîtrise budgétaire.
Face aux défis climatiques et aux besoins massifs de financement, la Côte d’Ivoire explore une nouvelle voie : celle d’un financement public conditionné à la performance environnementale. Le 1er juillet 2025, le gouvernement a dévoilé un cadre de financement lié à la durabilité, élaboré en partenariat avec le Groupe de la Banque mondiale. Baptisé Sustainability-Linked Financing (SLF), ce dispositif associe le taux d’intérêt des prêts à des objectifs concrets en matière d’environnement et de climat.
Selon les autorités, ce mécanisme marque une première en Afrique subsaharienne. Il s’inscrit dans une stratégie plus large visant à aligner les instruments financiers du pays sur ses engagements de développement durable.
« La Côte d’Ivoire s’est fermement établie comme un chef de file de l’innovation en matière de finance durable en Afrique », a déclaré Marie-Chantal Uwanyiligira, directrice de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire, le Bénin, la Guinée et le Togo.
Énergies renouvelables et reboisement au cœur du dispositif
Le SLF repose sur des objectifs quantifiables, ciblant deux secteurs stratégiques : l’énergie renouvelable et la foresterie. En matière de production électrique, la Côte d’Ivoire s’engage à porter la part des énergies renouvelables, hors hydroélectricité, à 11 % d’ici 2030, contre seulement 1 % en 2023. Cette ambition devrait générer des opportunités économiques dans les domaines de l’installation, de la maintenance et de l’innovation technologique.
Sur le plan forestier, la démarche est double. Le pays vise à limiter la perte de couvert forestier à un maximum de 300 000 hectares entre 2025 et 2030, tout en reboisant un million d’hectares sur la même période. Cette orientation devrait favoriser la création d’« emplois verts » et renforcer la résilience environnementale du pays.
Un mécanisme incitatif à double sens
Contrairement aux financements verts classiques, les SLF ne requièrent pas que les fonds soient spécifiquement alloués à des projets environnementaux. Leur originalité réside dans le lien direct entre les conditions financières du prêt et la performance environnementale du pays.
En clair : si la Côte d’Ivoire atteint, voire dépasse, ses objectifs, elle bénéficie d’une réduction du taux d’intérêt (step-down). À l’inverse, un échec entraînera une majoration du coût de l’emprunt (step-up). Ce mécanisme de récompense ou de pénalisation vise à renforcer la redevabilité et à inciter à des réformes structurelles concrètes.
Pour garantir la fiabilité de l’évaluation, le ministère des Finances publiera des rapports annuels de suivi, basés sur des technologies de pointe, comme la télédétection et la surveillance géospatiale à l’échelle nationale.
Une méthodologie internationale pour cadrer les ambitions
L’élaboration de ce cadre repose sur une méthodologie rigoureuse, conçue par la Banque mondiale : le référentiel FAB (Faisabilité et Ambition). Cette approche permet d’évaluer si les objectifs retenus sont à la fois réalisables dans le contexte national et alignés sur les standards internationaux de durabilité.
La méthode FAB est accessible au public via le portail des données ESG souveraines de la Banque mondiale. Elle témoigne de l’engagement de l’institution à promouvoir des financements durables, transparents et crédibles pour les pays émergents.
Une première opération de prêt attendue dans les mois à venir
Le cadre SLF devrait rapidement donner lieu à une opération concrète sur les marchés financiers. La Côte d’Ivoire prévoit en effet de lever un prêt lié à la durabilité (SLL) auprès de bailleurs commerciaux dans les mois qui viennent.
Cette transaction s’accompagnera d’un montage financier innovant, combinant les produits de garantie de deux institutions du Groupe de la Banque mondiale : la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et la MIGA (Agence multilatérale de garantie des investissements). Ce mécanisme, structuré en première perte / deuxième perte, permettra au pays de réduire significativement le coût du financement, tout en sécurisant les investisseurs privés.
Une démarche pionnière sur le continent
Au-delà de l’effet d’annonce, cette initiative s’inscrit dans une dynamique plus large : celle de l’intégration de la durabilité dans les politiques de financement public. En adoptant ce mécanisme, la Côte d’Ivoire cherche non seulement à diversifier ses sources de financement, mais aussi à positionner l’environnement comme un critère structurant dans sa stratégie économique.
« Cette nouvelle approche donne à la Côte d’Ivoire les moyens d’apporter des changements transformateurs qui profiteront aux générations à venir », a souligné Marie-Chantal Uwanyiligira. En s’alignant sur les meilleures pratiques internationales, le pays espère aussi inspirer d’autres États africains à suivre cette voie, à l’heure où la mobilisation des capitaux pour le climat devient un enjeu de souveraineté autant que de développement.