Reportages : ces adolescents bravent la mort au guidon de tricycles pour sauver leurs familles

Dans les labyrinthes poussiéreux des quartiers précaires d’Abidjan, une jeune génération se bat pour survivre. Ils ont à peine 10 ou 15 ans, des visages encore enfantins, mais des regards déjà marqués par les épreuves de la vie. Armés d’un simple tricycle bancal et d’un courage à toutes épreuves, ils luttent parfois au péril de leur vie pour subvenir aux besoins de familles entières.

Sous la pluie, sous le soleil, leur lutte ne s’arrête jamais

En Afrique subsaharienne, où près de 100 millions d’enfants sont privés d’éducation, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), la débrouillardise devient une question de survie. Parmi eux, ces jeunes conducteurs de tricycles, surnommés “Antara” ou “Saloni”, qui sillonnent les artères défoncées de la métropole ivoirienne, évitant nids-de-poule et accidents avec une agilité désespérée.

Mercredi 30 juillet 2025. Une bruine tenace transforme les routes en bourbiers traîtres. Pourtant, ils sont là, arc-boutés sur leurs engins, les mains crispées sur le guidon, les yeux scrutant l’horizon. Dans le quartier populaire d’Agbayaté à Yopougon (Abidjan ouest), leur présence est aussi vitale qu’elle est tragique.

Sous un hangar de tôle rouillée, quelques-uns se reposent, échangeant des rires et des cigarettes en nouchi, l’argot des rues. Leurs vêtements, délavés et rapiécés, racontent une autre histoire : celle d’une enfance volée.

Jaurès Yapo, 14 ans chef de famille malgré lui

Vêtu de vêtements usés mais fonctionnels – un jean délavé, un t-shirt trop large et vétuste, de vieilles paires de basket adaptées aux longues heures de conduite, Jaurès Yapo 14 ans, à la silhouette frêle mais endurcie, le visage prématurément marqué par la fatigue et les intempéries, le regard aussi déterminé que las, l’orphelin de père et aîné d’une fratrie de trois enfants a troqué les cahiers d’école contre un volant.

Rongé par l’inquiétude financière mais animé par une fierté féroce de subvenir aux siens, chaque jour, dès l’aube, il se poste au carrefour d’Agbayaté, prêt à transporter marchandises et passagers sur des routes où chaque virage peut être fatal.

“Après la location du tricycle, l’essence et les taxes, il me reste à peine 5 000 FCFA (7,5 €) pour nourrir ma mère et mes frères”, avoue-t-il, essoufflé. “Mais si je ne le fais pas, qui le fera ?”, s’interroge-t-il.

Malgré son jeune âge, Jaurès a déjà deux ans d’expérience. Avec une détermination stupéfiante, il a économisé pour acheter une moto qu’il loue aujourd’hui, rêvant d’un tricycle à son nom. Ses 150 000 FCFA (230 €) mensuels – le double du SMIG local – sont sa fierté. Mais à quel prix ?

Aziz Fofana, 10 ans : écolier le matin, “balanceur” le soir

Plus jeune encore, Aziz Fofana, 10 ans, le corps menu et agile d’enfant, aux genoux écorchés et aux ongles cassés, lui aussi incarne, une autre facette de cette précarité.

Partagé entre l’insouciance de l’écolier et l’anxiété du pourvoyeur, il enfile so

Accrochés dans l’insouciance au dos de l’engin pour gagner le pain quotidien

n uniforme scolaire le matin et le soir, il devient “balanceur”. Le short déchiré et t-shirt trop grand, trempé de sueur et maculé de boue, il court derrière les clients pour quelques pièces.

Ses soirées commencent à 18h et finissent un peu tard la nuit, pour un gain dérisoire de 1 500 à 2 000 FCFA (2,3 à 3 €).

“Hier, j’ai glissé sur la chaussée”, murmure-t-il en montrant une ecchymose sur sa jambe, témoin des chutes répétées. “Mais si j’arrête, comment ma mère paiera mes cahiers ?”, se demande-t-il.

Des adolescents aux ordres de « scorpion  » seigneur invisible des ruelles

Derrière cette économie de survie se cache une figure redoutée. Konaté Mamadou alias “Scorpion”.

Chemise polyester fermée jusqu’au col, jean noir et baskets de marque, tenue calculée pour afficher sa supériorité sociale, il règne en maître sur la gare clandestine d’Agbayaté, exigeant 2 000 FCFA par jour de chaque conducteur.

“Ici, c’est moi qui décide”, assène-t-il, impassible avec un Torso massif et une posture rigide, le crâne rasé luisant de sueur, yeux étroits et scrutateurs qui calculent et dominent.

“Ces gamins savent qu’ils doivent obéir. Sinon, ils dégagent.”, lâche-t-il, devant ces gamins qu’il considère comme du bétail utile.

Un transport vital, mais périlleux

Pour les passagers, embarquer dans ces tricycles, relève du parcours du combattant. Sans ceinture, secoués à chaque bosse, ils endurent le trajet dans un mélange de résignation et de peur.

“Un jour, le chauffeur a perdu contrôle. Je me suis retrouvée dans la boue. Depuis lors, je marche.”, se souvient Tatiana Seki, une habitante qui désormais à une sainte horreur des engins à trois roue.

Le point de départ à tour de rôle à la gare

Pourtant, sans le courage quotidien et l’énergie inépuisable de ces adolescents débrouillards, des milliers d’Abidjanais seraient purement et simplement isolés.

“Les gens râlent, mais qui d’autre fera le travail ?”, soupire Ange Kroupi, les mains couvertes de gangs.

Une illégalité tolérée

La loi est pourtant claire. Elle indique que conduire un tricycle nécessite un permis, accessible seulement à partir de 16 ans. Mais sur le terrain, les contrôles sont rares.

“On nous a ordonné de fermer les yeux parce qu’ils se battent pour assurer leur survie”, confie un agent municipal sous anonymat.

Les conséquences sont dramatiques. Selon le ministère des Transports, 70% des accidents impliquent des deux-roues, et 60% des victimes sont des motocyclistes ou des piétons.

Mais pour ces enfants, le plus grand danger n’est pas la route. C’est l’indifférence. Alors ils continuent, jour après jour, à risquer leur vie… pour que d’autres puissent, simplement, vivre.

La pauvreté infantile en Côte d’Ivoire présente un visage alarmant. Selon l’UNICEF, près de 50% des enfants vivent dans des foyers monétairement pauvres et 60 % subissent des privations multidimensionnelles.

Pour lutter contre ce fléau, notamment le travail des enfants, plusieurs initiatives ont été déployées. Des filets sociaux productifs, des programmes de formation professionnelle et des interventions d’ONG internationale comme Save the Children et CARE International œuvrent à améliorer le sort des jeunes Ivoiriens. Toutes ces actions convergent vers un objectif commun : la réalisation de l’ODD n°1, qui ambitionne d’éliminer la pauvreté et de réduire les inégalités à l’échelle mondiale.

Via AIP

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