C’est à l’aérodrome de Gagnoa que jadis, l’avion du premier Président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny se posait, quand il venait rendre visite à son ami, le patriarche Cheick Yacouba Sylla. L’avion du Président Houphouët s’y est également posé, à la faveur de la célébration tournante de la fête de l’indépendance en 1970, et, pour la dernière fois, en août 1988, lors des obsèques de Yacouba Sylla. Depuis, l’aérodrome, abandonné à la nature sauvage, est devenu un espace de luxure à ciel ouvert.

Feux de veilleuse allumée en plein centre de la piste d’atterrissage, deux silhouettes s’entrelacent dans un véhicule 4×4. Les phares rendent brièvement visible la partie qui se joue à l’intérieur du véhicule.  Le lendemain, retour sur les lieux, dans la matinée, bien décidé à en savoir davantage. Sur place,  un homme d‘une quarantaine d’années qui, avec un groupe de cinq personnes, s’apprête pour la chasse au gibier dans la forêt voisine à l’aide d’une dizaine de chiens, explique que « c’est fréquent ici », avec un sourire en coin. Il habite dans les environs de l’aérodrome et pour lui, la scène surprise la veille fait partie du quotidien.

« Parfois, c’est deux voitures qui se partagent la piste. Il faut dire que l’espace est vraiment dégagé. C’est la piste que vous apercevez jusqu’à l’autre bout du site », note pour sa part, Hamidou, un vieil homme dont la maison jouxte l’espace aéroportuaire, notamment, à quelques encablures de la scierie de la Compagnie ivoirienne du bois (CIB).

« C’est rare de voir de petits avions ou hélicoptères atterrir ici, » poursuit-il. Toutefois, il relève que parfois, des ministres utilisent la piste dans le cadre d’activités politiques ou institutionnelles, ou encore, des militaires, pour le saut en parachute.

Ce qui rend l’aérodrome très fréquenté par contre, fait observer une tenancière de maquis du quartier, « ce sont les gens qui défilent ici la nuit. Parfois, certains couples marchent comme s’ils se baladent. Mais quelle balade nocturne dans un endroit obscur et non habité ? ». Une autre femme, Clémentine, s’ajoute aux confidences : « on les voit et on sait. C’est femme des gens ! » peste-t-elle, très en colère. Mais « c’est surtout les voitures que l’on aperçoit ici, et/ou les couples sur des engins à deux roues la nuit, qui intrigue. Par contre, dans la journée, des gens viennent pour apprendre à conduire, » insiste Mamadou, apprenti mécanicien dans un garage situé sur l’espace aéroportuaire.

« Les chauffeurs de nuit, eux, sont toujours accompagnés de filles, et très souvent de jeunes filles, » insiste-t-il.

Le lendemain nuit, retour sur l’espace aéroportuaire. Même décor. Mêmes scènes de bacchanales. Dans le clair-obscur, des silhouettes se détachent dans des véhicules, moteur en marche. « Rarement, ils sortent des voitures, certainement, de peur de se faire agresser, » fait observer Gérard, un jeune homme qui sert de guide.

« Certains vont plus loin, en plein milieu de la piste, pour ne pas certainement être reconnus », confie-t-il. « Les amoureux d’un soir, comme on les appelle dans cette zone, se retrouvent en terrain conquis, finissent ce qu’ils sont venus faire et repartent tranquillement » ajoute-t-il.

ML, habitant de Gagnoa, propriétaire d’un véhicule de type 4×4 assure fréquenter le lieu. Il refuse cependant de décliner son identité. En effet, l’homme souligne que la piste, large et étendue, est très « clean » pour une discrète partie de plaisir.

« Les hôtels ne sont pas des lieux sûrs, vu qu’il faut y décliner son identité, avant d’accéder aux chambres. Ce qui n’est pas très commode pour nous qui voulons passer inaperçu », soutient ML, qui se refuse à fréquenter les hôtels de passe, qu’il juge manquer d’hygiène. Puis de relever que c’est « peu catholique d’entrer dans un l’hôtel avec une jeune fille, pour un homme dont l’âge dépasse la cinquantaine. » Il dit, préférer donc, ce site que certains estiment abandonner.

Ce qui frappe d’emblée ici, c’est la broussaille qui a poussé sur le sol de ce qui reste du hangar décoiffé de l’aérodrome. Seules résistent encore à la dégradation, de vieilles traverses métalliques sur lesquelles reposaient des feuilles de tôles aujourd’hui, totalement rongées par la rouille et dont on aperçoit des résidus par terre. Quelques pans de murs fissurés tiennent également debout et masquent ce qui reste du bureau de l’agent de navigation aérienne où tout a disparu. Portes, cadres, fenêtres, câbles électriques, sanitaires. Rien de tout cela n’existe plus. Partout, ce sont des murs et des poteaux en béton, qui ne paye pas de mine.

À 200 mètres du hangar, le regard se pose sur les ruines de ce qui faisait figure de bureaux de l’administration. Pas un mur debout, mais un sol recouvert de reste de gravats, sur 50 mètres carrés. La présence d’une girouette non loin de là, montre encore, qu’ici, des avions atterrissent ou ont atterri. Seule véritable présence aujourd’hui, c’est la piste d’atterrissage faite de terre battue mélangée à du gravier rouge, sur plusieurs centaines de mètres.

Cet immense terrain, propriété du ministère des Transports, est à l’abandon et aux vices. Pour le directeur régional des Transports du Gôh, Koué-Bi Ferdinand, « ce n’est pas un abandon de l’État ». L’homme explique que tout est planifié dans une République. Certainement que dans le cadre de la réhabilitation ou de la restauration des aérodromes de l’intérieur du pays, le tour de celui de Gagnoa viendra. « Il faut être patient », dit-il.

Par contre, ce qu’il dit déplorer, c’est l’occupation anarchique des commerces et autres constructions en matériaux durables, sur l’espace aéroportuaire.

« Même si pour l’heure, vous ne voyez rien, sachez que tôt ou tard, l’État reprendra son bien, car cela se trouve dans le plan directeur de la ville », avertit M. Koué-Bi. En ce qui concerne les propriétaires de gros camions qui ont fait d’une partie de cet espace de l’Etat, une gare routière, « détrompez-vous », averti M. Koué Bi, même s’il confesse que la nature à horreur du vide.

Le directeur régional assure que même si les bâtiments aéroportuaires sont à la peine, « la piste est encore praticable », et c’est pourquoi, dit-il, que « des avions décollent et atterrissent à Gagnoa. »

À quand la rénovation de l’aérodrome de Gagnoa, une ville carrefour, un chef-lieu de région stratégique aux immenses potentialités économiques, passage d’accès aux deux ports du pays, à savoir celui d’Abidjan et de San Pedro ? Un jour, le réveil sonnera pour cet aérodrome qui a connu ses moments de gloire et qui est plongé aujourd’hui dans le déclin.

Via AIP

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