Les vessies natatoires de Totoaba peuvent se vendre entre 20 000 et 80 000 dollars le kilogramme, « rivalisant avec le prix de l’or et de la cocaïne », selon une déclaration sous serment de 2019 relative à un mandat de perquisition dans une des nombreuses affaires de contrebande de ce poisson.
Le totoaba, un poisson en voie de disparition endémique du golfe de Californie, est au cœur d’un trafic illégal lucratif, stimulé par la forte demande pour sa vessie natatoire, ou maw, sur les marchés asiatiques, en particulier en Chine.
Ce marché noir a éveillé la convoitise des cartels mexicains : classé en danger critique d’extinction depuis 1996 par l’UICN, le totoaba macdonaldi est connu sous le triste nom de « cocaïne aquatique ».
D’après la médecine traditionnelle chinoise, cette vessie aurait des vertus pour stimuler le système immunitaire, et peut être utilisée comme complément alimentaire.
On retrouve des témoignages littéraires de la consommation des vessies natatoires en Chine dès 500 après J.C. Ces écrits expliquent à quel point ces vessies sont bénéfiques pour la santé. Elles sont d’ailleurs régulièrement surnommées le ginseng de l’eau pour leur effet supposé stimulant du système immunitaire. Aujourd’hui encore elles sont consommées en ragoût, soupes ou même sautées et considérées comme un complément alimentaire pour un régime sain.
Le totoaba est une espèce benthique : il évolue au fond du golfe de Californie, à une profondeur maximale de 25 mètres, où il se nourrit de poissons, crabes et crevettes.
Au milieu du XXème siècle, les plus grands totoabas pêchés atteignaient deux mètres de long pour 100 kg. Il semblerait toutefois que ce genre de spécimens ait disparu, les adultes étant désormais plus jeunes, donc plus petits.
En moins d’un siècle, le totoaba macdonaldi a vu sa population se réduire de 95 %. Cette chute vertigineuse s’explique d’une part par la dégradation de son environnement de frai, et d’autre part par la surpêche et le braconnage dont il fait toujours l’objet.
Les autorités mexicaines, en coordination avec la marine, ont réalisé des progrès significatifs dans la lutte contre le trafic en arrêtant des membres clés de cartels spécialisés dans le commerce illégal du totoaba, certains trafiquants étant liés au crime violent et aux cartels de la drogue.
Un kilogramme de maw de totoaba peut se vendre jusqu’à 80 000 dollars en Chine, soit environ 49 millions de FCFA, ce qui en fait une marchandise très recherchée sur le marché noir . Cette haute valeur peut changer la vie des pêcheurs locaux, certains rapportant pouvoir gagner 8000 dollars par kilogramme de vessie de totoaba.
Cependant, le commerce ne menace pas seulement le totoaba. Il a également un impact dévastateur sur le marsouin vaquita, car les filets maillants utilisés pour capturer le totoaba capturent et noient également ce petit marsouin, avec des estimations suggérant qu’il reste moins de 30 individus à l’état sauvage.
Le gouvernement mexicain a investi massivement dans l’élimination des filets maillants du nord de la mer de Cortez et la protection du vaquita, y compris des efforts pour capturer et loger les vaquitas dans des enclos marins afin de neutraliser la menace.
L’ONG C4ADS a souligné l’intersection du trafic de totoaba avec le crime organisé, en mettant l’accent sur le fait que le trafic de maws est autant un problème de sécurité que de conservation. En 2019, le media Quartz a rapporté que le marché du Totoaba est si lucratif que les autorités américaines pensent que des membres du cartel de Sinaloa y participe.
« La mafia chinoise, pour résumer, c’est le bras financier. Ce sont eux qui achètent, eux qui recrutent. En réalité, ce sont eux qui graissent l’arme avec laquelle on va te tirer dessus », confiait dans le film Planet Killers : le parrain des océans*, un ex-chef de la police mexicaine qui a réchappé miraculeusement à un assassinat, alors qu’il était sur la piste d’Oscar Parra, l’un des barons de ce « cartel de la mer », emprisonné depuis.
« Quand j’ai commencé à enquêter sur le totoaba (…) j’ai découvert une situation unique au monde, révèle Mark Davis, ancien agent du FBI. Certains parlent de monstre à deux têtes en évoquant le trafic de totoaba. Car c’est un mariage entre les cartels mexicains et le crime organisé chinois. »
Malgré les enjeux élevés, les sanctions pour le trafic de totoaba ont jusqu’à présent été moins sévères que pour les stupéfiants, ce qui pourrait conduire à une attitude indulgente de la part des fonctionnaires. On pousse pour un renforcement des mesures d’application de la loi et de réelles enquêtes suite à la découverte de totoaba ou de filets maillants connexes.
Les enquêtes montrent que le bénéfice tiré d’une prise illégale de totoaba peut rivaliser avec celui de la drogue, ce qui explique l’implication des narcotrafiquants dans ce commerce. Pour eux, les risques semblent moindres et les sanctions moins lourdes, ce qui fait du trafic de totoaba une activité attrayante. La législation peine à suivre, et même si la prise est bonne, les conséquences pour ceux qui se font attraper ne sont pas aussi dissuasives que pour le trafic de drogues. Cela crée un cercle vicieux où les risques sont minimisés et les pots-de-vin facilitent la circulation de ces « trésors marins ».
Pour ceux qui se battent pour la survie du totoaba et du vaquita, chaque victoire est une lueur d’espoir. Mais le chemin est encore long pour que l’application de la loi soit à la hauteur des enjeux et pour que les communautés locales trouvent des alternatives durables à cette pêche destructrice.
« La pêche illégale représente 23 milliards d’euros chaque année », révèle Luis Tortas, un officier de renseignement criminel d’Interpol, qui travaille sur les délits environnementaux.