Analyse : La Fédération de l’Afrique de l’Est, un rêve menacé par les conflits entre la RDC et le Rwanda

La Fédération de l’Afrique de l’Est est un projet qui vise à unir les sept pays membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) – le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), le Kenya, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda – en un État fédéral souverain. Ce projet, qui existe depuis les années 1960, a connu de nombreux obstacles et retards, notamment la pandémie de COVID-19, qui a perturbé le processus de rédaction d’une constitution régionale.

Mais au-delà des difficultés techniques et logistiques, la Fédération de l’Afrique de l’Est doit aussi faire face à des défis politiques et sécuritaires, notamment les tensions et les conflits entre la RDC et le Rwanda, deux pays voisins qui ont une histoire tumultueuse et qui sont impliqués dans la crise de l’est du Congo.

La RDC et le Rwanda, des partenaires ambivalents

La RDC et le Rwanda sont deux des sept pays membres de la CAE, une organisation régionale qui vise à renforcer la coopération et l’intégration entre ses États dans divers domaines, tels que le commerce, les infrastructures, la sécurité, l’éducation, l’agriculture et l’énergie. La RDC a rejoint la CAE en 2022, après avoir exprimé son intérêt depuis 2011. Le Rwanda fait partie de la CAE depuis 2007.

Les deux pays ont également manifesté leur soutien au projet de la Fédération de l’Afrique de l’Est, qui envisage de créer un État fédéral unique et souverain à partir des pays de la CAE. Le président congolais Félix Tshisekedi a déclaré que son pays souhaitait participer au projet de la Fédération de l’Afrique de l’Est, et qu’il était prêt à respecter les critères et les normes requis. Le président rwandais Paul Kagame a affirmé que la fédération était une opportunité historique pour le développement et la stabilité de la région.

Cependant, la RDC et le Rwanda ont aussi une relation complexe et conflictuelle, marquée par des rivalités politiques, économiques et sécuritaires. Les deux pays ont connu deux guerres, en 1996-1997 et en 1998-2003, qui ont fait des millions de morts et de déplacés, et qui ont impliqué plusieurs autres pays africains. La deuxième guerre, appelée “guerre mondiale africaine”, a été déclenchée par l’invasion du Congo par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, qui soutenaient des groupes rebelles opposés au régime de Laurent-Désiré Kabila.

Depuis la fin de la guerre, la situation sécuritaire dans l’est du Congo reste instable, avec la présence de nombreux groupes armés, dont certains sont soutenus ou combattus par le Rwanda. La RDC accuse le Rwanda de soutenir le M23, un groupe rebelle qui a occupé la ville de Goma en 2012, et qui a été vaincu en 2013 grâce à l’intervention d’une force de l’ONU. Le Rwanda nie ces accusations, et affirme qu’il lutte contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe composé de génocidaires hutus qui ont fui le Rwanda après le génocide de 1994.

La CAE a tenté de jouer un rôle de médiation et de stabilisation dans la crise de l’est du Congo, en proposant de déployer une force régionale dans la zone en conflit. Mais cette initiative a été bloquée par le refus de la RDC, qui craignait une ingérence du Rwanda. La RDC a préféré faire appel à l’ONU et à l’Union africaine, qui ont mis en place une brigade d’intervention chargée de neutraliser les groupes armés.

La Fédération de l’Afrique de l’Est, un projet compromis ?

La question de savoir si la RDC et le Rwanda devraient faire partie de la Fédération de l’Afrique de l’Est dépend de plusieurs facteurs, tels que la volonté politique, la résolution des différends, la convergence des politiques, et l’adhésion des populations. Certains observateurs sont optimistes et pensent que la fédération pourrait favoriser la paix et la prospérité, tandis que d’autres sont sceptiques et craignent que la fédération ne soit pas viable ou démocratique.

Les partisans de la fédération estiment que celle-ci pourrait offrir une solution durable aux problèmes de la région, en créant un espace de dialogue, de coopération et de solidarité entre les pays membres. La fédération pourrait aussi renforcer le poids politique et économique de l’Afrique de l’Est sur la scène internationale, en formant un marché commun de plus de 300 millions d’habitants, avec un PIB de plus de 200 milliards de dollars. La fédération pourrait également permettre de mieux gérer les ressources naturelles, notamment l’eau, le pétrole et les minerais, qui sont sources de richesse mais aussi de conflit.

Les opposants à la fédération, en revanche, doutent de la faisabilité et de la pertinence du projet, en invoquant les disparités et les divergences entre les pays membres. La fédération impliquerait de renoncer à une partie de la souveraineté nationale, ce qui pourrait être perçu comme une menace par certains États ou certains groupes. La fédération nécessiterait aussi de harmoniser les politiques fiscales, monétaires, sociales et sécuritaires, ce qui pourrait être difficile à réaliser, compte tenu des différences de niveau de développement, de régime politique, de langue et de culture. La fédération poserait également des défis en termes de gouvernance, de représentation et de participation, en garantissant le respect des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie.

Les tensions et les conflits entre la RDC et le Rwanda sont un exemple des obstacles que la Fédération de l’Afrique de l’Est doit surmonter pour se concrétiser. Ces deux pays, qui ont une influence majeure dans la région, doivent trouver un terrain d’entente et de confiance, pour pouvoir coopérer efficacement et pacifiquement. La Fédération de l’Afrique de l’Est pourrait être une opportunité pour renforcer les liens entre la RDC et le Rwanda, mais elle pourrait aussi être un risque de raviver les rivalités et les ressentiments.

La Fédération de l’Afrique de l’Est est donc un projet ambitieux, mais aussi incertain. Il dépend de la volonté et de la capacité des pays membres à s’engager dans un processus d’intégration politique, qui requiert des compromis, des concessions et des réformes. Il dépend aussi de la vision et de l’adhésion des populations, qui doivent être consultées et impliquées dans la construction de leur avenir commun.

Votre Page

A voir également sur Kessiya

Quitter la version mobile