Côte d’Ivoire : Gestion de la dette, intégration régionale et transition verte – Entretien avec Aminata Touré du FMI

Représentante résidente du Fonds monétaire international (FMI) en Côte d’Ivoire depuis août 2023, Aminata Touré apporte une expertise clé dans les politiques économiques et le développement durable. Titulaire d’un doctorat de l’Université George Washington, elle est spécialisée en politique macroéconomique, politique budgétaire, politique monétaire, gestion des actifs et passifs souverains, restructuration de la dette souveraine, réformes structurelles et diversification économique. Elle joue un rôle crucial dans la promotion de la stabilité économique et de la croissance en Côte d’Ivoire. Dans cet entretien exclusif, l’économiste donne un aperçu détaillé de la situation économique et des défis auxquels le pays est confronté, ainsi que du rôle du FMI dans son développement.

Kessiya : Madame Aminata Touré, quel est votre diagnostic de la situation économique actuelle en Côte d’Ivoire et quels sont les principaux défis à relever ?

Aminata Touré : L’économie ivoirienne reste résiliente malgré un environnement extérieur difficile. En 2023, la croissance est restée robuste à environ 6,2% et l’inflation est tombée à 4,4%. Malgré le déficit du compte courant qui reste soutenu, on peut se réjouir du fait que les déséquilibres macroéconomiques sous-jacents des dernières années ont commencé à se réduire avec le déficit budgétaire qui s’est réduit de 1,6 points de pourcentage sur 2022-23 pour atteindre 5,2% du PIB à fin 2023. De plus les perspectives économiques à moyen terme restent favorables pour la Cote d’Ivoire.

Les autorités ivoiriennes ont bien identifié leur défi qui est celui d’atteindre un niveau de revenu intermédiaire de tranche supérieure. C’est un défi ambitieux mais réalisable. Leur succès dépendra de la continuité dans la mise en œuvre des réformes ambitieuses en cours tant en matière de stabilisation macroéconomique, de lutte contre changement climatique, de l’amélioration de l’environnement des affaires et de la bonne gouvernance, de l’inclusion financière, et de la protection sociale. La poursuite des efforts de diversification économiques et d’une croissance basée sur l’essor du secteur privé seront également importantes pour relever ce défi.

Kessiya : En tant que représentante résidente du FMI, comment évaluez-vous l’impact des politiques économiques mises en place par le gouvernement ivoirien sur la croissance et la stabilité macroéconomique du pays ?

Aminata Touré : Permettez-moi de faire un rappel de la situation économique de la Cote d’ivoire de ces dernières années. L’économie ivoirienne avait été durement touchée par le triple choc de la pandémie de Covid-19, du resserrement financier mondial et des retombées négatives de la guerre de la Russie en Ukraine. Ces chocs mondiaux consécutifs avaient causé des déséquilibres macroéconomiques grandissants tant au niveau du déficit budgétaire que du déficit extérieur avec en plus une inflation croissante. Le gouvernement s’est alors lancé en 2023 dans un programme de stabilisation macroéconomique avec le soutien financier du Fonds Monétaire International (FMI) visant à préserver la viabilité budgétaire et de la dette, à contenir l’inflation pour qu’elle revienne à un niveau bas et à reconstituer les réserves extérieures. Au vu des réalisations observées, la mise en œuvre du programme du gouvernement au cours de la première année à jusqu’à présent été largement couronnée de succès et le soutien du Fonds Monétaire International a contribué à contenir tout nouveau besoin de financement. Les politiques économiques et les réformes mise en œuvre ont eu l’impact attendu avec un recul notoire des déséquilibres macroéconomiques et une croissance demeurant forte. La croissance est restée résiliente, estimée à environ 6 ¼ % en 2023, tandis que le déficit du compte courant s’était stabilisé et le déficit budgétaire avait commencé à se réduire. De plus, l’analyse de viabilité de la dette montre que le risque de surendettement reste modéré.

Kessiya : Le FMI a récemment approuvé un accord financier significatif (3,5 milliards de dollars) avec la Côte d’Ivoire. Quels sont les objectifs principaux de cet accord et comment le FMI suit-il sa mise en œuvre ?

Aminata Touré : En effet, en mai 2023, le FMI a apporté son soutien financier à la Cote d’ivoire par l’approbation d’un arrangement financier de 40 mois au titre du Mécanisme Elargi de Crédit (MEDC) et de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) pour un montant d’environ 3,5 milliards de dollar (soit 400% de la quote-part). Ce soutien financier est l’un des plus importants du FMI dans la région d’Afrique sub-saharienne et vient soutenir les efforts des autorités pour atteindre leurs objectifs développementaux déclinés dans leur Plan National de Développement 2021-2025 (PND) tout en préservant la stabilité macroéconomique. La réforme la plus importante et conséquente du programme économique du gouvernement vise une mobilisation accrue des recettes intérieures qui permettra de libérer l’espace budgétaire nécessaire pour investir dans la transformation structurelle de l’économie ivoirienne pour en faire un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à moyen terme. Ce programme est en bonne voie. Les autorités ivoiriennes ont déjà remplies avec succès les conditions de la première revue du programme qui s’est concrétisée par les décaissement de la deuxième tranche du programme en décembre 2023 pour un montant d’environ 500 millions de dollars de plus, les autorités ivoiriennes viennent de conclure au début du mois d’avril un accord des services pour la deuxième revue du programme au début du mois d’avril 2024. La mise en œuvre du programme a été jugée forte en ce qui concerne la réalisation des critères quantitatifs et le respect des repères structurels. La Côte d’Ivoire a poursuivi son engagement à assurer la viabilité des finances publiques et de la dette tout en stimulant la mobilisation des recettes intérieures pour créer un espace fiscal et mettre en œuvre son ambitieux programme de réformes structurelles. Un assainissement budgétaire décisif a été entamé en 2023, notamment en augmentant la mobilisation des recettes intérieures de 1 % du PIB en une année. Les autorités ivoiriennes ont pris des mesures fortes pour renforcer la stabilité macroéconomique et corriger les déséquilibres budgétaires et extérieurs alors que l’économie a été durement touchée par le triple choc.

Elles ont également poursuivi la mise en œuvre de leur plan de développement national par le biais d’importantes réformes structurelles visant à améliorer le climat des affaires et la participation du secteur privé au développement du pays.

Kessiya : La dette publique de la Côte d’Ivoire reste un sujet de préoccupation. Quelles sont les recommandations du FMI pour une gestion durable de la dette et quel rôle joue la stratégie de gestion de la dette à moyen terme ?

Aminata Touré : La dernière analyse de viabilité de la dette publique montre que la dette de la Cote d’Ivoire est viable et le risque de surendettement reste modéré. Le ratio d’endettement se situe à environ 58% du PIB à fin 2023 et est projeté à environ 53% du PIB d’ici fin 2028, demeurant en deca du seuil communautaire d’endettement exigé par l’UEMOA. De plus, la récente émission réussie d’eurobonds de janvier 2024 et l’opération de gestion du passif associée devrait contribuer à renforcer la viabilité de la dette publique. La poursuite des efforts en cours en termes de consolidation budgétaire tout en s’assurant que la trajectoire de la dette publique suive celle de la consolidation budgétaire ; et de gestion de la dette devrait renforcer la viabilité de la dette publique.

Kessiya : Quelle est la vision du FMI concernant l’intégration économique régionale en Afrique de l’Ouest et comment cela pourrait-il influencer la croissance économique de la Côte d’Ivoire ?

Aminata Touré : Une meilleure intégration économique régionale favoriserait notamment un renforcement des liens commerciaux, une réduction de l’incertitude et permettrait d’améliorer les perspectives de croissance à l’échelle régionale dont tous les pays y compris la Cote d’Ivoire.

Kessiya : Le franc CFA est l’objet de nombreux débats ces derniers mois. Les trois pays de l’AES (Burkina Faso, Mali et Niger) veulent l’abandonner et les nouveaux dirigeants sénégalais l’ont, à plusieurs reprises, remis en cause avant leur accession au pouvoir. Récemment, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a affirmé que c’est une mauvaise monnaie. Il a même prédit qu’elle finirait par être abandonné d’ici quelques années. Et vous, comment voyez-vous l’avenir de cette monnaie régionale ?

Aminata Touré : Les défis auxquels la zone UEMOA est confrontée ne remettent pas en cause son intégrité, et le risque de fragmentation reste faible. La zone a connu des moments difficiles avec les sanctions de la CEDEAO sur certains pays. Cependant, aucun pays membre n’a annoncé son retrait de la zone UEMOA. Ce risque est susceptible d’être considérablement réduit maintenant que la CEDEAO a levé la plupart des sanctions contre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. De plus, ces pays ont entre-temps annoncé publiquement, y compris aux marchés financiers, leur engagement à rester dans la zone UEMOA. Pour ce qui est du Sénégal, les nouvelles autorités ont également réaffirmé, lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque Mondiale, leur engagement à rester dans la zone UEMOA.

Les pays membres de la zone devraient continuer à consolider leur position budgétaire tout en s’assurant que la trajectoire de la dette publique suive celle de la consolidation budgétaire, et à renforcer leur position extérieure tout en faisant progresser les réformes économiques afin de créer davantage des possibilités d’emploi, y compris pour les jeunes, et de favoriser une croissance inclusive tirée par le secteur privé. Comme dans le cas de la Côte d’Ivoire, le FMI a mis en place des accords financiers avec une large majorité de pays membres de l’UEMOA pour soutenir ces efforts et ceci a été fait à la demande de ces pays.

Kessiya : L’innovation et la technologie sont des moteurs essentiels de la croissance. Comment le FMI soutient-il la Côte d’Ivoire dans l’adoption de ces outils pour accélérer son développement économique ?

Aminata Touré : La région, y compris la Cote d’Ivoire a subi plusieurs chocs consécutifs mais dans l’ensemble les économies ont fait preuve de résilience. Les décideurs politiques devraient saisir l’opportunité de la résilience d’aujourd’hui pour augmenter les perspectives de croissance en accélérant les réformes structurelles pour une croissance plus forte et inclusive. Il n’y a pas de recette miracle pour accélérer le développement économique mais un ensemble de réformes structurelles bien ciblées pourrait y contribuer. Toutes les réformes visant à améliorer l’offre pour plus d’efficacité et de productivité ; à investir dans la transformation économique en tirant parti des progrès rapides de la technologie et de la digitalisation; améliorer l’investissement dans le capital humain ou l’éducation ; renforcer la gouvernance; augmenter la participation des femmes au marché du travail, améliorer l’accès au capital et l’inclusion financière, et renforcer l’environnement des affaires, sont des éléments clés pour accélérer le développement économique.

Kessiya : Les questions environnementales et le changement climatique sont de plus en plus prégnants. Quel est le rôle du FMI dans l’accompagnement de la Côte d’Ivoire vers une économie plus verte et durable ?

Aminata Touré : La Côte d’Ivoire est exposée et vulnérable aux changements climatiques qui se manifestent entre autres par la hausse des températures, les perturbations de la pluviométrie, les inondations, la hausse du niveau de la mer et l’érosion côtière. Les secteurs de l’économie qui sont les plus affectés sont notamment le secteur agricole et les activités situées dans les zones côtières. Dans le même temps, les émissions de gaz à effet de serre et la pollution dans les zones urbaines augmentent et constituent des défis additionnels. Tout ceux-ci constituent des défis majeurs et représentent des risques récurrents pour une croissance économique résiliente, durable et inclusive.

Au vu de tous ces défis climatiques, le FMI a accordé un prêt à la Cote d’Ivoire au titre de la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD), d’environ 1,3 milliard de dollars E.U. (soit 150% de la quote-part) pour appuyer le programme de réformes du gouvernement ivoirien pour lutter contre les changements climatiques. Ce financement supporte les actions des autorités ivoiriennes pour renforcer l’adaptation et l’atténuation, en particulier dans les domaines de l’agriculture, du transport, des infrastructures, et de la gestion des finances publiques à travers la mise en œuvre d’un ensemble de mesures de réformes ambitieuses pour pallier aux défis identifiés. Leurs réformes se regroupent autour de six axes clés: (i) l’intégration du climat dans la gestion des finances publiques (GFP) ; (ii) le renforcement de la gouvernance des politiques climatiques ; (iii) la réduction de l’exposition et de la vulnérabilité du secteur agricole ; (iv) l’accroissement des financements verts et durables ; (v) la réduction de la vulnérabilité aux inondations et à l’érosion côtière, et (vi) la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Kessiya : Enfin, quel message aimeriez-vous adresser aux investisseurs potentiels et aux partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire ?

Aminata Touré : L’économie ivoirienne a fait preuve de grande résilience. Les perspectives économiques en Côte d’Ivoire sont très favorables. Les autorités sont engagées à poursuivre les réformes nécessaires pour atteindre leur objectif de pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure.

Entretien réalisé par Jean-Marc Gogbeu, journaliste économique

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