Investigations sur les crimes économiques et financiers : Des journalistes de la CEDEAO initiés aux préalables et outils utiles au démarrage d’une enquête crédible

Photo de famille des participants au terme de la cérémonie d'ouverture (DR)

Un peu plus d’une trentaine de journalistes des pays de la CEDEAO ont découvert les techniques d’investigation sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (BC/FT) en Afrique de l’ouest, du 02 au 04 août 2023, à Abuja au Nigéria. Cette session de renforcement des capacités des acteurs des médias visait notamment à promouvoir la culture de l’information sur la LBC/FT au sein de la communauté des acteurs non étatiques.

Faire connaitre les missions et activités du Groupe intergouvernemental d’action sur le blanchiment d’argent (GIABA) ; contribuer au renforcement de sa visibilité ; promouvoir la culture de l’investigation sur les crimes économiques et le financement du terrorisme ; élargir le réseau des journalistes engagés dans la LBC/FT.

Ainsi se présentent les principales attentes de l’atelier régional de formation sur le journalisme d’investigation en lien avec les crimes économiques et financiers, tenu du 02 au 04 août 2023, à Abuja, la capitale fédérale du Nigéria.

Sur le thème ; « le journalisme d’investigation sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (BC/FT) en Afrique de l’Ouest », un peu plus d’une trentaine d’animateurs de médias ouest-africains, ont été instruits sur la conduite à tenir dans le domaine de l’investigation sur le BC/FT.

Les préalables

Dans son introduction aux normes internationales  LBC/FT, le Dr. Buno N’duka, Directeur de l’évaluation de la conformité à la retraite, a longuement insisté sur la définition du concept de LBC/FT, « processus de légitimation du produit des activités illicites ».

Partant de ce principe, il a affirmé que le BC/FT induit la commission d’un délit. C’est pourquoi, il est impératif de connaitre les crimes sous-jacents avant de s’engager dans une enquête de LBC/FT.

21 infractions répertoriées

Occasion pour le Dr.Buno N’duka de dévoiler la liste des 21 infractions qui déclenchent une investigation. Celles-ci ont pour noms : participation à un groupe criminel organisé et  racket, terrorisme y compris  financement du terrorisme, traite des êtres humains et trafic illicite de migrants, y compris traite des enfants et trafic d’organes; exploitation sexuelle, y compris exploitation sexuelle des enfants et prostitution, trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, trafic illicite d’armes, trafic illicite de biens volés et autres, corruption et pots-de-vin, fraude (y compris la cybercriminalité), contrefaçon de devises monétaires, contrefaçon et piratage de produits, criminalité environnementale (orpaillage clandestin, etc.), meurtre, coups et blessures graves, enlèvement, séquestration illégale et prise d’otages avec demande de rançon, vol, contrebande, extorsion de fonds et chantage, piraterie y compris maritime, délit d’initié et manipulation de marché, criminalité fiscale (liée aux impôts directs et indirects) et évasion fiscale.

Types et étapes de blanchiment de capitaux

Il convient de noter qu’il existe trois types de BC : l’auto-blanchiment, le blanchiment par un tiers et le blanchiment autonome. Ils se déroulent suivant trois temps : la dissimulation, c’est l’étape du placement. Vient ensuite l’empilement qui consiste à ouvrir un ou plusieurs comptes dans divers pays. Enfin, l’intégration du système financier.

Pour clore son exposé, le Dr. Buno N’duka a exhorté les journalistes à s’approprier les rapports d’évaluation mutuelles (REM) pays, la convention des Nations Unies contre la corruption, les résolutions des Nations Unies sur la question, les normes internationales de LBC/FT, l’évaluation nationale des risques de blanchiment et de financement du terrorisme, l’utilisation des terminologies de la LBC/FT afin d’enrichir leur culture sur le sujet. Il a par ailleurs plaidé pour la mise en place d’un régime de sanctions efficaces contre le BC/FT.

Gardiens des institutions

Abordant le cadre théorique du journalisme d’investigation, le Dr. Bisi Olawuyi, Enseignant au département de Communication et des Arts du Langage à l’université d’Ibadan, a souligné l’effet des médias sur la prise de décision.

Aux journalistes présents, il a déclaré qu’ils sont les « gardiens des institutions, les gardiens de la connaissance publique ». A ce titre, ils endossent la casquette « d’acteurs du changement ». Leur mission est donc de travailler au bien-être de la société par un engagement à révéler les informations importantes, exposer les questions cachées de manière délibérée, alerté sur les pratiques non conformes, emmener les autorités à rendre compte.

Modèles et éthique du journalisme d’investigation

Pour les aider dans cette tâche, l’enseignant a mis à leur disposition trois modèles d’investigation. Le modèle catalyseur à l’effet de mobiliser l’opinion en vue d’aboutir à l’adoption de réformes souhaitées.

Le modèle factice de Feldstein. Ici, le premier défi est d’aboutir à des changements de politique sans réaction préalable du public, à la suite de la collaboration et de l’interaction entre les élites médiatiques et les décideurs.

Avec le modèle ventriloque, les décideurs sont les déclencheurs – en coulisse – de l’enquête en fournissant au journaliste la matière. Toutefois, ce modèle est porteur de menaces sérieuses pour le journalisme d’investigation dans la mesure où, il peut constituer une source de manipulation des médias.

Sur la question de l’éthique, le Dr. Bisi a fortement recommandé aux auditeurs de s’abstenir d’utiliser leur métier pour obtenir des faveurs. Ajoutant qu’ils devraient être dotés de principes moraux afin de résister à la tentation. De son intervention, il convient de retenir qu’il est impératif d’œuvrer à se prémunir contre la précarité et la pauvreté avant de s’engager dans l’investigation.

Utilisation des TICs et traitement des sources

« Les TICs offrent de nouveaux outils d’enrichissement du journalisme d’investigation. Elles étoffent et renforcent le processus de collecte, de traitement et de diffusion des informations. », A expliqué Régina Bandé, Responsable du Centre d’information du GIABA à Abidjan, intervenant sur cet aspect.

Elle a suggéré le recours au « dark et deep web » qui à l’image d’un iceberg représente 90% de l’écosystème de la toile. Ces outils offrent de réelles opportunités d’accès à des bases de données privées et permettent d’échapper à la surveillance.

Face aux difficultés d’accès à l’information, Mme Bandé recommande de prioriser les sources, créer la confiance, favoriser la coopération à travers l’intégration au réseau régional des journalistes d’investigation de LBC/FT. « C’est un filet de protection efficace contre les menaces et entraves à l’exercice de votre métier », a-t-elle déclaré en réponse aux préoccupations des journalistes soucieux de leur sécurité.

Rôle, mandat et missions du GIABA

Auparavant, Thimothy Melaye, Coordonnateur de UCP, Gestionnaire du Centre d’information du GIABA à Lagos au Nigéria, a présenté le rôle, le mandat et les missions du GIABA.

Partant de l’instabilité des économies régionales, qui découle de la corruption, impacte la vie sociale, la paix et la stabilité politique, les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO décident de créer, le 10 décembre 1999, le GIABA. Ils assignent comme missions à cette institution : l’élaboration de stratégies de protection des économies des Etats membres, l’amélioration des mesures et l’intensification des efforts pour combattre les produits du crime économique en Afrique de l’ouest et le renforcement de la coopération interétatique.

“Nous avons besoin du soutien des médias, pour mener à bien nos activités et empêcher les criminels de porter atteinte à la stabilité et à l’intégrité de nos systèmes financiers et de l’économie en général.”, a déclaré M. Edwin W. Harris Jr.le Directeur Général du GIABA, (au centre) à l’ouverture de l’atelier. (DR)

Dès sa création, le GIABA entreprend d’élaborer une stratégie d’alliance contre la criminalité transnationale organisée avec les Organisations de la société civile, les associations de jeunesse, les leaders d’opinion, politiques, religieux, commerçants et journalistes. Le but, les sensibiliser aux conséquences du BC/FT et obtenir leur adhésion. Cette initiative permet d’enregistrer des avancées. Toutefois, persistent des écueils tels qu’une faible volonté politique dans la LBC/FT, les lenteurs dans l’adoption de reformes au sein des parlements, le problème de financement du GIABA, la faiblesse des capacités structurelles, les lacunes dans le corpus judiciaire, le manque de collaboration entre structures de LBC/FT, la forte présence du secteur informel dans nos Etats, le manque de capacités du système bancaire.

En guise de palliatifs, le Coordonnateur préconise la mise en place d’un système d’alerte précoce, le renforcement des capacités des parties prenantes, l’allocation de ressources à l’assistance technique de la LBC/FT, la réduction des pratiques corruptrices.

Cas pratique

Travaux de groupe sous la supervision du Dr. Bisi Olawuyi. (DR)

C’est par des travaux de groupes que les journalistes ont mis en pratique les enseignements reçus. A partir d’un scénario d’investigation fictive dans la République du Wakanda, en s’inspirant de l’un des modèles du journalisme d’investigation, ils ont déroulé le cadre méthodologique et les étapes de leur enquête. Objectif, obtenir des pouvoirs publics, une réforme destinée à impacter le bien-être social, politique et économique des populations.

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